« Les différents rôles du rire en interaction sociale et ses réalisations phonétiques »
Marie CHAUMONT (Master 2 Sciences du langage – Université Bordeaux Montaigne)
En linguistique, le rire est souvent considéré comme un bruit parasite. Il fut longtemps laissé de côté en raison de sa complexité du ainsi que d’un manque de modèles théoriques. Depuis les années 80-90, de nombreux chercheurs appartenant à divers domaines (ex. psychologie, phonétique, sociologie…) s’intéressent aux caractéristiques du rire, tant au niveau expressif que perceptif. Toutefois ces études ne se sont pas encore accordées sur une terminologie commune pour décrire ses caractéristiques (Trouvain 2003).
D’autre part, “rire” est défini comme une “manifestation d’une gaieté soudaine, s’amuser, se divertir”, selon le dictionnaire Larousse.
Or, Provine (1992), dans une expérience où il cherchait à décrire ce qui provoque le rire, mit en lumière que l’humour n’en était pas le déclencheur principal. La plupart des occurrences qu’il releva étaient présentes dans une conversation “normale”, sans rien d’amusant, semblable à « où vas-tu ». Mais si ce n’est pas parce que nous sommes amusés, pourquoi rions-nous ?
Des chercheurs tels que Scott (2016) ou Ishi (2016), mirent en évidence l’existence de différents types de rires, aux caractéristiques physiques et neuronales distinctes, révélant un rire « spontané » incontrôlable et associé à l’humour et un rire « social ».
Suivant ces recherches antérieures, le rire spontané est défini comme un rire incontrôlable, survenant suite à un événement externe tel qu’une vidéo humoristique. Quant au rire social, il est défini comme se produisant socialement, contrôlé suivant une convention culturelle, dans le but de maintenir la communication avec son interlocuteur (manifestation d’embarras, politesse…)
Notre objectif initial est de vérifier si un sujet naïf serait capable de discriminer un rire social d’un rire spontané à l’aide seulement de données audio et sans informations sur le contexte. Dans un second temps nous souhaiterions déterminer les caractéristiques acoustiques de chaque rire.
Pour cette étude préliminaire, nous avons effectué un test perceptif auprès de 87 sujets français. 54 stimuli composés de façon égale de 27 rires sociaux et spontanés furent sélectionnés parmi 254 rires par 7 chercheurs. Ceux-ci sont extraits d’un corpus enregistré en environnement immersif avec des sujets français et japonais à l’aide des “Speech Dialogue Systems and Multimodal Interfaces” développés par l’Université de Kyoto, Japon (Nishida et al., 2014). Afin de quantifier des réponses, chaque séquence de rire est diffusé 3 fois de façon aléatoire, produisant 162 rires utilisés comme stimuli pour le test. Avant de participer, les sujets furent informés des définitions des deux types de rire et de la procédure du test. Il fut effectué individuellement, sur l’interface d’un programme développé sous le logiciel « OpenSesame » ainsi que d’un casque. Lors du test, le sujet devait écouter au maximum 2 fois le stimulus et ensuite sélectionner si le rire était “spontané”, “social” ou “je ne sais pas”. Dans le cas des deux premières réponses, une échelle de 1 à 7 apparaissait afin de connaître le degré de certitude du sujet.
Les résultats montrent un taux de reconnaissance avoisinant les 70%, (24 spontanés et 24 sociaux). Cela nous permet la première conclusion que les sujets interrogés semblaient être capables de distinguer le rire social du spontané seulement à l’aide de données audio sans aucun contexte.
Nous avons par la suite mesuré les valeurs de 13 paramètres acoustiques (fréquence fondamentale, durée totale et de la partie voisée, intensité, taux de bruit) de chaque rire dans le but d’identifier des caractéristiques acoustiques des deux rires, ce à l’aide d’Analyse Multi-Factorielle.
Les résultats mettent en évidence une corrélation entre les réponses données et les paramètres tels que la fréquence fondamentale, la durée totale des rires et celle de leur partie voisée. Ainsi les résultats montrent que ces éléments de durée, le nombre des segments voisés et l’amplitude de F0 sont des facteurs importants pour discriminer le rire spontané du social. Les premiers sont davantage voisés, et leur durée totale et celle de la partie voisée sont plus longues que celle des seconds.
Suite à ces résultats, nous souhaitons effectuer des tests perceptifs supplémentaires afin de sous-catégoriser le rire social et ses différentes fonctions possibles. Pour ce faire, les rires sociaux mis en évidence dans les précédents tests seront sélectionnés puis nous demanderons aux sujets de déterminer l’existence ou non de certains affects (ex. embarras, politesse).
Bibliographie
Bachorowski J.A., Smoski J.Owren M.J., The Acoustic Feature of Human Laughter, The Journal of the Acoustical Society of America, 2001.
Ishi C., Audiovisual Analysis of Relations Between Laughter and Laughter Motions, Proc. Speech Prosody 2016, 2016.
Nishida, T., Nakazawa, A., Ohmoto, Y., Mohammad, Y., Conversational Informatics : A
Data-Intensive Approach with Emphasis on Nonverbal Communication, Ed. Springer, 2014.
Provine R.R., Contagious Laughter : Laughter is a Sufficient Stimulus for Laughs and Smiles, Bull. Psychon. Soc., 1992.
Provine R.R., Laughter Ponctuates Speech : Linguistic, Social and Gender Contexts of Laughter, Bull. Psychon. Soc., 1993.
Provine R.R., Laughing, Tickling and the Evolution of Speech and Self, Bull. Psychon. Soc., 2004.
Scott S., The Social Life of Laughter, Trends Cogn Sci. 2014; 18(12): 618–620, 2014.
Tanaka H., Campbell N., Laughter Ponctuates Speech : Linguistic, Social and Gender Contexts of Laughter, Computer Speech and Language, Vol. 28, 2014.
Tian Y., Mazzocconi C., Ginzburg J., Time alignment between laughter and laughable, Proc. The 4th European and 7th Nordic Symposium on Multimodal Communication, 2016.
Trouvain J., Segmenting Phonetic Units of Laughter, Proc; 15th International Congress of Phoneti Sciences, pp.2793-2796, 2003.