« Une politique linguistique en demi-mesure : étude de la situation du bilinguisme créole/français dans l’enseignement en Haïti »
Guerlande BIEN-AIMÉ (Docteure en Sciences du langage, Laboratoire FoRell, Université de Poitiers)
Dans toutes les sociétés où plusieurs langues sont en contact, la cohabitation est rarement une situation de contact harmonieux. La constitution haïtienne de 1987 fait du créole une langue officielle au même titre que le français mais il n’existe pas une réelle politique d’aménagement linguistique afin que la cohabitation du français et du créole ne crée pas des rapports d’inégalité au sein de la société. Le domaine scolaire, en Haïti, est l’un des secteurs où l’absence d’une politique linguistique cohérente et déclarée reste la plus problématique. Le dysfonctionnement des rapports entre le français et le créole dans la société se répercute de façon considérable dans l’enseignement. Le système scolaire, à travers ses cadres, s’enlise dans une lutte pour faire fonctionner l’enseignement avec un cursus impliquant le créole mais sans une réelle décision de rendre son utilisation rationnelle. « Comme tout objet social, la langue constitue une composante d’un espace social construit, reconstruit et perpétuellement négocié par les acteurs sociaux » (Petit Jean 2009 : 9). Les considérations que les locuteurs octroient à chacune des deux langues officielles (créole, français) se trouvent reflétées dans le système scolaire. Ainsi, des phénomènes de double vue se présentent. D’une part, les acteurs de l’éducation reconnaissent que la voie vers l’appropriation des connaissances est favorisée par le créole mais d’autre part, la hantise que la langue de prestige (le français) ne soit pas maîtrisée à l’école occasionne des rejets que les élèves ne peuvent pas ne pas sentir. Les élèves sont donc en contradiction entre les exigences de la communication facilitée (le créole) et une image de cette langue comme véhicule imparfait dans les études. La plupart des directeurs et des enseignants souhaitent que leurs élèves arrivent à maîtriser le français. On constate cependant que l’insécurité linguistique met ces derniers dans une situation de blocage. Les élèves éprouvent de la peur quand ils doivent s’exprimer en français, en salle de classe.
À travers cette communication, nous aborderons, d’abord, le qualificatif du bilinguisme haïtien, c’est-à-dire, comment se présente cette double identité (créolophonie /francophonie) linguistique dans la pratique. Ensuite, nous analyserons plus spécifiquement les différents défis auxquels fait face le système éducatif, en raison de l’intégration non effective du créole dans l’enseignement. Notre discussion se basera principalement sur des données que nous avons recueillies, en automne 2013, à partir de trois types de questionnaires sociolinguistiques proposés à 12 responsables d’écoles, 38 enseignants et 410 élèves. De cette étude, nous espérons dégager plus particulièrement des perspectives susceptibles d’encourager une prise en compte effective de l’intégration du créole à l’école.
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