« Alternance codique et mixité langagière dans les dessins de presse du Sénégal »
Audrine NSHIMIRIMANA CORREA (Master 2 Sciences du langage – Université Bordeaux Montaigne)
1. Contexte et justification du sujet
Dans cette communication (poster) nous proposons d’analyser, à partir des outils sociolinguistiques, la mixité langagière ainsi que l’alternance codique français-wolof dans les dessins de presse au Sénégal. Qu’il s’agisse de l’alternance codique, de la traduction littérale du wolof au français ou du français au wolof de certains mots et expressions, ou encore de toute autre forme de mixité langagière, ces phénomènes linguistiques présentent un intérêt pour la recherche en sociolinguistique à la fois sur le plan théorique, conceptuel, pragmatique et méthodologique.
L’intérêt de ce travail réside avant tout dans la contribution à l’étude de la cohabitation des langues en Afrique. Mais il se situe surtout dans le caractère plurilinguistique atypique du contexte sénégalais qui constitue notre champ de recherche. Celui-ci diffère de ceux du Cameroun, du Nigéria ou de la République démocratique du Congo (et même de la Côte d’ivoire) où des centaines de langues cohabitent dans une sorte d’équilibre relatif. Car au Sénégal, le français en tant que langue officielle et le wolof, langue véhiculaire, semblent s’imposer dans l’espace public au point de faire de l’ombre à toutes les autres langues du pays, condamnées au confinement dans les espaces privés et communautaires. Il est aussi intéressant pour les spécialistes des langues d’observer dans un contexte de pluralisme médiatique acté, comment les acteurs se prêtent aux jeux de langues pour être efficaces dans la communication sociale comme en communication politique. Autrement dit entre pluralisme linguistique et pluralisme médiatique, la sociolinguistique est interpelée pour examiner et comprendre les mutations sociales et culturelles qui sont observables dans l’usage quotidien des langues dans la société sénégalaise.
2. Problématique de recherche
C’est ainsi qu’on peut examiner les notions d’alternance codique et de mixité langagière à travers le prétexte des dessins de presse qui ont tendance à mobiliser le français et le wolof pour faire passer une information. Cette particularité sénégalaise crée ainsi des situations particulièrement stimulantes en termes d’études de la dynamique des langues et des stratégies d’acteurs notamment pour analyser la compétence pragmatique des locuteurs et fournir des éléments théorico-conceptuels. La problématique qui peut se dégager de cette situation atypique est relative, d’une part aux enjeux de la cohabitation entre deux langues « imposantes », bénéficiant des outils et circuits légitimant des institutions (administrations, médias, responsables politiques, organisations religieuses, acteurs influents) de la société et, d’autre part, au statut des autres langues qui devront développer des stratégies de visibilité et de survie. Une question fondamentale est de savoir si la mixité langagière telle que recourue par les dessinateurs de presse n’est pas une façon de relativiser les frontières sociales entre l’élite (usager du français) et les masses (usagers du wolof).
3. Approche méthodologique
Cette étude entend s’appuyer sur une démarche à la fois empirique (enquête de terrain) et analytique (analyse du discours). C’est à partir d’un corpus composé d’une trentaine de dessins de presse publiés dans deux quotidiens sénégalais que nous nous proposons de réaliser cette étude. Nous mobilisons ainsi des outils méthodologiques qualitatifs afin de relever les facteurs déterminants de la cohabitation entre les langues ainsi que leurs enjeux dans un exercice qui n’exclut pas l’analyse du discours.
L’approche sera non seulement qualitative mais aussi comparative. Notre corpus est l’œuvre de deux auteurs, dessinateurs-caricaturistes. Ils ont des styles différents et pourtant des centres d’intérêts communs. Par ailleurs, nous mettrons en place une catégorie de dessins en fonction de leur thématique et de la nature des conversations tout en observant, sans verser dans un quantitativisme aveugle, le taux d’usage des mots de chaque langue sollicitée dans une autre langue. L’analyse des dessins de presse est renforcée par des entretiens qualitatifs auprès de différentes catégories d’acteurs : hommes politiques, lectures de la presse, auteurs de l’information dessinée.
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